Le couple Cognacq-Jay

D'origine modeste, le couple formé par Ernest Cognacq et son épouse Marie-Louise Jaÿ constitue un remarquable exemple d'ascension sociale liée à l'essor des grands magasins à la fin du XIXe siècle.

La Samaritaine

Une réussite commerciale exemplaire

Théodore-Ernest Cognacq est né le 2 octobre 1839 à Saint-Martin-de-Ré (Charente-Maritime). À l'âge de 12 ans, la ruine puis le décès de son père le contraignent à quitter l'école pour gagner sa vie comme marchand itinérant à La Rochelle et Bordeaux. Ernest Cognacq tente ensuite sa chance dans plusieurs grands magasins parisiens : rejeté des Magasins du Louvre, il réussit à se faire embaucher à La Nouvelle Héloïse et y rencontre sa future femme, Marie-Louise Jaÿ (1838-1925). Cognacq travaille dans plusieurs maisons parisiennes avant de s'établir à son compte en 1867, rue Turbigo, Au petit bénéfice. Il fait faillite, repart sur les routes de France, puis retente sa chance dans la capitale comme camelot en s'installant dans la corbeille de la seconde arche du Pont-Neuf, à l'emplacement de l'ancienne pompe hydraulique de la Samaritaine (détruite en 1813) où il reçoit alors le sobriquet de Napoléon du déballage.

À 30 ans, ses économies reconstituées, Cognacq sous-loue l'arrière salle d'un café qui occupait la pointe de l'immeuble située à l'angle de la rue du Pont-Neuf et de la rue de la Monnaie, qu'il renomme A la Samaritaine . Il entend ainsi profiter de la clientèle des Halles et des magasins d'À la Belle Jardinière installés depuis 1867 de l'autre côté de la rue du Pont-Neuf (actuel siège de la maison Louis Vuitton). La réussite survient enfin : en 1871, il loue le local transformé en boutique et prend deux employés. L'année suivante, Cognacq s'unit à Marie-Louise Jaÿ, alors première vendeuse au rayon confection du Bon Marché. Au fil des ans, après avoir successivement loué les différents espaces commerciaux, le couple achète peu à peu l’ensemble de l’immeuble dont il se rend totalement propriétaire en 1902, quatorze ans après leur premier achat foncier sur cet îlot. Les affaires prospèrent grâce aux principes de vente novateurs propres aux grands magasins : entrée libre sans obligation d’achat, prix fixes et affichés, possibilités d’échange, vendre beaucoup mais à faible marge, achat à crédit, etc. Les chiffres d’affaires sont exponentiels : déjà 400 000 francs en 1872, 6 millions en 1882, 40 millions en 1895, le milliard dépassé en 1925.


La Samaritaine de nuit

Des magasins à l'architecture novatrice

C'est en mai 1883 qu'Ernest Cognacq fait la connaissance de l'architecte belge Frantz Jourdain (1847-1935), l'un des promoteurs de l'Art nouveau et de l'architecture du fer en France. En 1884, Jourdain intervient dans les aménagements intérieurs du magasin n°1 de La Samaritaine, et dans l'hôtel particulier des Cognacq, situé au 65 avenue du Bois de Boulogne (actuelle avenue Foch). Il est à nouveau désigné en 1905 pour la construction du magasin n° 2 de La Samaritaine inauguré en 1910, de style Art nouveau, à structure métallique apparente, orné de deux coupoles bulbeuses et d'un décor de lave émaillée, de grès et de mosaïque en façade. Entre 1926 et 1928, sous la houlette de Jourdain, l'architecte Henri Sauvage (1873-1932) agrandit ce bâtiment vers la Seine dans le style Art Déco, contraint par les règles d'urbanisme de masquer l'architecture métallique initiale par une façade en pierre de taille. Les magasins n°3 et n°4 sont inaugurés respectivement en 1930 et en 1932.

Le magasin historique de La Samaritaine a rouvert ses portes en juin 2021 après seize ans de fermeture et cinq de chantier (2015-2020). Dorénavant propriété du groupe LVMH, le lieu, doté d’un programme mixte, offre un nouveau grand magasin, un Hôtel Cheval Blanc, des bureaux, une crèche et des logements sociaux (vendus à Paris Habitat).


Une œuvre de philanthropes

Forts de leur réussite parisienne, les époux Cognacq n'oublient pas pour autant leurs origines provinciales : aussi, Ernest Cognacq n'hésite-t-il pas à financer la création du musée d'histoire locale de l'Île de Ré en 1907, tandis que Marie-Louise Jaÿ crée la Jaÿsinia, jardin botanique alpin inauguré en 1906 et situé dans sa ville natale de Samoëns (Haute-Savoie). Parallèlement à son activité commerciale, le couple poursuit son œuvre de philanthropie - principalement destinée aux employés de La Samaritaine - en créant la Fondation Cognacq-Jay en 1916. Cette institution - toujours en activité - gérait un pouponnat, une maison de convalescence, une maison de retraite situés à Rueil-Malmaison, un centre d'apprentissage à Argenteuil, une maternité à Paris, un orphelinat et une maison de repos en Haute-Savoie, et un ensemble de logements à Levallois-Perret. En 1920, le couple Cognacq complète son action de bienfaisance en créant le Prix Cognacq, toujours géré par l'Institut, pour récompenser les familles nombreuses.

Vous pourriez également être intéressé par